Entretien avec Amal Bourquia, professeure de néphrologie et dialyse, experte en éthique et communication médicales et présidente de l’Association marocaine de lutte contre les maladies rénales
«La télénéphrologie peut aider les patients qui ont besoin de soins de routine, les personnes vulnérables et les personnes présentant des symptômes bénins à domicile tout en maintenant l’accès aux soins»
L’intérêt pour la télémédecine augmente aussi bien chez les professionnels de santé que chez les patients. Pendant la pandémie du Covid-19, de nombreux médecins ont fourni des consultations par le biais de technologies de communication quotidiennes, telles que Face Time ou Skype. La néphrologie est parmi les spécialités parfaitement adaptables à la télémédecine. Pr Amal Bourquia nous parle des avantages de la télénéphrologie, notamment pour la population rurale.
Le Matin : Dans le contexte difficile du Covid-19, quel rôle joue la télémédecine pour le système de santé notamment pour la néphrologie ?
Professeure Amal Bourquia : La télémédecine fait référence à l’échange d’informations médicales d’un site à un autre par le biais de communications électroniques pour améliorer la santé d’un patient. Il existe un intérêt croissant pour la télémédecine ou la médecine à distance chez les médecins et les patients dans la fourniture de soins de santé, en particulier avec l’émergence du virus à l’origine de la maladie Covid-19. Il apparaît urgent d’étendre l’utilisation de cette technologie qui pourrait aider à limiter la propagation communautaire du virus et l’exposition d’autres patients et membres du personnel, ce qui ralentira la propagation virale.
Comment la télémédecine peut-elle aider les malades ?
La télénéphrologie peut aider les patients qui ont besoin de soins de routine, les personnes vulnérables et les personnes présentant des symptômes bénins à domicile tout en maintenant l’accès aux soins. La téléconsultation permettra d’améliorer la collaboration multidisciplinaire ce qui aidera à avoir un parcours de soins coordonnés des patients atteints de maladies chroniques, dont les maladies rénales. La télénéphrologie permet la coordination des soins et la coopération multidisciplinaire, ce qui va aider à réduire la morbidité et la mortalité chez les patients avec des maladies rénales, en retardant l’évolution vers le stade terminal de l’insuffisance rénale. Les patients peuvent recevoir des services de leurs médecins sans avoir à se rendre dans un établissement de santé.
Comment peut-elle favoriser le partage d’expertises avec les professionnels de santé, notamment dans les régions où il n’y a beaucoup de spécialistes en néphrologie ?
Justement, c’est un des objectifs les plus importants de la telenéphrologie. Elle va permettre de connecter les médecins généralistes de ces régions avec leurs collègues, néphrologues et aborder de façon plus sereine la prise en charge de la maladie chronique. Des études ont montré l’intérêt de la télé expertise néphrologique qui peut augmenter non seulement l’adhésion des patients, mais aussi celle des médecins traitants en développant une collaboration plus étroite avec le médecin néphrologue. Elle entraîne rapidement la réduction des nombres de rendez-vous auprès du médecin néphrologue et l’amélioration du parcours de soins coordonnés des patients. Les médecins généralistes ont exprimé une plus grande confiance dans la gestion de la maladie rénale chronique dans la communauté et ont constaté que les consultations électroniques leur ont donné des conseils utiles, réduisant ainsi le besoin de références externes. Il est donc possible d’éviter les renvois inutiles aux néphrologues par des médecins de famille. Dans ce contexte, la télésanté a permis de réaliser des économies par rapport aux soins habituels. C’est ce que nous pouvons attendre de son développement dans notre pays.
Cette nouvelle pratique médicale peut-elle soulager les populations
des territoires isolés ?
Absolument et c’est cette population qui doit être au-devant dans la mise en place de cette nouvelle pratique, l’expertise néphrologique dont on a parlé auparavant va être mise à disposition de patients qui ne pouvaient avoir cette expertise qu’avec beaucoup de difficultés. L’importante population rurale a un accès aux soins de néphrologie limité et la prestation de soins de néphrologie par visioconférence entraîne des résultats cliniques qui sont au moins équivalents aux soins en personne et une meilleure adhésion des patients aux rendez-vous prévus. Bien entendu, le médecin pourrait identifier les populations de patients qui sont les plus susceptibles de bénéficier de la télénéphrologie.
Que représente la télémédecine en néphrologie au Maroc en tant que défi organisationnel ?
La télé néphrologie a été suggérée comme une approche pour faciliter la coordination des soins entre les prestataires de soins primaires et les néphrologues pour les patients atteints de maladies rénales. C’est un important défi organisationnel, mais qui doit démarrer progressivement pour assurer son succès. Il est aussi important d’évaluer la qualité des soins fournis par la télénéphrologie et les bénéfices de la télémédecine aux différentes étapes du parcours de soins des patients atteints de maladie rénale ou en particulier d’insuffisance rénale chronique avant d’en faire une pratique généralisée. En modifiant les diagnostics finaux et les plans de traitement par le biais de consultations de télé néphrologie, il est possible de réaliser des économies de temps et d’argent pour les patients.
Quelles sont les solutions créatives à mettre en place pour généraliser la télémédecine en néphrologie ?
La prestation de services et d’informations à distance sur la santé par les technologies des télécommunications, a été relativement peu utilisée en néphrologie sachant que c’est la première spécialité avoir introduit la télémédecine. Des solutions pratiques et simples sont à mettre en œuvre très rapidement comme la téléconsultation facilement réalisable et qui peut vite favoriser l’approche de deux niveaux de soins. Les technologies utilisées en télésanté continuent de s’étendre et vont de la consultation par téléphone à diverses applications Web. D’ailleurs pendant la pandémie du Covid-19, de nombreux médecins, de bonne foi, ont fourni des consultations par le biais de technologies de communication quotidiennes, telles que Face Time ou Skype. La prestation de soins aux patients en milieu rural et urbain par une intervention de télésanté par une équipe interprofessionnelle est une stratégie de prestation de soins réalisable chez les patients atteints d’une maladie rénale modérée à sévère.
Comment peut-on valoriser la télémédecine en néphrologie au Maroc ?
L’importance du problème de santé publique que pose la maladie rénale chronique rend nécessaire le recours à la sensibilisation des populations au dépistage de cette maladie silencieuse pour la prévenir et éviter au maximum son aggravation. Il est don évident que la télénéphrologie va aider au rapprochement de la consultation de néphrologie du domicile du patient et de la relation entre deux niveaux de soins pour une meilleure prise ne charge de ces pathologies. Il est aussi primordial de mettre au-devant l’application aux collectivités rurales ou éloignées, où les services locaux sont limités et les déplacements vers les grands centres sont coûteux et peu pratiques.
La télémédecine ne risque-t-elle pas de déshumaniser la relation
avec le médecin ?
Bien sûr, c’est pour moi la première hantise, elle ne doit pas et ne pourra jamais remplacer totalement la consultation classique et le développement de la relation médecin-malade. De même, l’éthique en télémédecine est superposable à l’éthique médicale. Au stade de la visioconférence, socle de toutes les applications de télémédecine, le respect d’une éthique est relativement simple et concerne les questions de sécurisation des données, du respect du secret médical et des principes de rémunération des praticiens. Les questions éthiques sont essentiellement d’ordre réglementaire. Il ne faut pas imaginer que cette technologie va remplacer la consultation classique, mais compléter et aider à une meilleure prise en charge.
Propos recueillis par Nadia Ouiddar